J’ai essayé de réfléchir à la question de Christophe et je crois qu’il faut commencer par une touche d’honnêteté :
On commence l’Aïkido pour différentes raisons. Untel veut simplement devenir fort, un autre rêve de paix et d’harmonie universelle, un troisième vit dans le mythe transmis par l’histoire des samouraïs. Le hasard met aussi parfois un dojo près de chez soi.
Alors oui, après quelques années d’Arts Martiaux, j’ai été séduit par l’élégance et l’efficacité de l’Aïkido mais c’est surtout pour sa philosophie de non-violence et de non compétition que j’ai commencé à pratiquer.
J’ai commencé à comprendre quelques éléments.
Mais les raisons pour lesquelles on commence sont des raisons secondaires, des explications de surface, l’écume des choses.
Je ne pense pas que ce sont les raisons pour lesquelles on persévère. Pourquoi en vérité un homme de nos jours, qui reçoit de son époque des sollicitations innombrables (travail, famille, amis, contact avec le monde entier, internet, les technologies de communications, etc…) décide-t-il de consacrer son énergie, son temps, sa vie, à l’étude de ce qui n’est à première vue qu’un art martial japonais parmi tant d’autres ?
A mon sens, cette question ne doit pas être traitée de l’extérieur, car c’est dans l’art lui-même qu’elle trouve sa réponse. Je pense avoir saisi une chose : Ce n’est en effet qu’à partir du niveau de compréhension auquel on parvient de cet art, après avoir accepté d’emprunter le chemin sinueux de son étude, que se dessine, par touches successives, la raison profonde, la raison véritable de la pratique. En d’autres termes, il n’est possible de savoir pourquoi on se met en chemin qu’une fois parcourue la plus grande partie de celui-ci. (et je n’en suis qu’au début !!!)
Il faut donc pratiquer !
Cette particularité pose tout de même un problème à qui veut bien réfléchir : si je ne peux pas comprendre pourquoi je pratique qu’après être parvenu à un niveau avancé de la pratique, qu’est-ce donc qui a motivé mes débuts et mes années d’initiation ? Par quel mystère ai-je commencé et continué, sans raison explicable, une activité à laquelle je n’avais aucun moyen de comprendre quoi que ce soit au départ? Au nom de quoi le débutant enthousiaste que je suis, a-t-il accepté de demeurer encore pratiquant le plus assidu possible et pour aussi longtemps qu’il me sera possible ; et sans véritable espoir, sur mon appétit de connaissance ?
Je n’ai pas en effet d’autre réponse qu’une sorte d’acte de foi, une quête du Graal à apporter au paradoxe qui précède. Or cette quête apparaît irrationnelle, et s’il est exact qu’elle se trouve à l’origine de la pratique il est normal alors qu’on ne sache pas expliquer pendant longtemps pourquoi l’on fait de l’Aïkido.
Cependant, si cette voie spirituelle – irrationnelle par définition – en cette discipline pousse à en entreprendre l’étude, de l’étude naît en revanche une compréhension – rationnelle par définition – des raisons profondes qui ont mené à elle.
Je trouve que cette alchimie est remarquable, mais les raisons en question ne sont pas communicables à celui qui n’a pas effectué lui-même ce début de parcours. Non pas qu’il y ait un secret qui soit jalousement gardé. Il n’y a pas de secret, je pense.
Mais il y a une condition, c’est que pour recevoir le moyen de comprendre il faut accepter de faire le chemin. Celui qui n’a pas fait le chemin peut, bien-sûr, recevoir des mots, mais il ne peut pas les entendre. Les mots ne deviennent porteurs de sens qu’au moment où l’on pratique. C’est pour cela qu’on ne peut jamais expliquer ce qu’est l’Aïkido à quelqu’un qui ne le pratique pas ou peu ou irrégulièrement. Et ce quelqu’un ne peut pas comprendre.
Et c’est pour la même raison qu’on ne peut comprendre véritablement pourquoi l’on fait de l’Aïkido avant que ne soit écoulée la trentaine d’année nécessaire à faire sortir la véritable essence de l’aïkido. Christophe semble avoir déjà touché du doigt le cœur de l’aïkido.
3 années ont passé, années de travail et d’amorce de recherche, mais si je sais un tout petit peu aujourd’hui pourquoi je fais de l’Aïkido, à quoi bon le dire ? Ceux qui n’ont pas emprunté, ou pas encore suffisamment le chemin ne peuvent entendre ces propos, et ceux qui l’ont accompli connaissent déjà intimement le paysage que peindrait si mal le pauvre vocabulaire dont je dispose.
Mais bon…
J’ai appris avec l’aïkido que l’on m’enseigne que les vraies réponses aux questions importantes sur notre existence exigent travail et sueur, elles demandent du temps, de la pratique assidue aussi.
Celui qui veut savoir doit avant tout savoir qu’il est l’artisan de son propre savoir, et ne rien attendre de l’extérieur. L’initiation à l’Aïkido dans sa profondeur ne se pioche pas comme dans un livre les recettes de cuisine, et le champ d’étoiles reste inaccessible à qui se contente de moyens faciles. Il n’existe pas de raccourci commode à la connaissance. Seul le travail que l’on effectue sur soi-même a une chance d’apporter réponse à la question que pose Christophe.
Maintenant avec cette question, j’ai également réfléchi à pourquoi est ce long d’apprendre l’aïkido ? Pourquoi est ce si difficile ?
Là encore je peux me référer aux éclairages de Christophe.
Pas pour des raisons techniques !
Parce que nous avons des complexes. Nous avons des complexes dans notre corps, dans notre esprit, et il est toujours difficile de s’ouvrir, de s’ouvrir à l’autre.
Les premières phases d’initiations à l’Aïkido permettent la découverte de ses propres possibilités corporelles et de leur libération : déplacement, équilibre, souplesse, relâchement, force interne, respiration, concentration, perceptions, ouvertures, engagement, dépassement de soi (et j’en oublie sûrement).
Le contact harmonieux au partenaire est recherché (Ki Musubi), les fondamentaux sont transmis (Maaï, Shisei, Kokkyu, Zanshin, Kamae, …).
On apprend toute sa vie, j’espère apprendre encore longtemps…
A mon sens, quand j’essaie, au 1er niveau, de transposer l’étude de l’Aïkido et de ses valeurs dans la vie quotidienne, voilà ce que cela peut donner :
L’AÏKIDO permet de découvrir des facettes inexplorées de soi-même par le recours à des formes d’expressions non verbales. Ses champs d’actions ont également l’avantage d’évacuer le stress par l’imagination et l’évasion mais aussi de favoriser la motivation, la cohésion, l’esprit d’équipe.
L’AÏKIDO enseigne une conception de la vie basée sur l’instauration de relations positives et constructives, la maîtrise des émotions (attitude, respiration, parole), l’expression des besoins et des demandes, la mise en place de règles du jeu claires, promues et connues de tous. (Rei=respect)
L’AÏKIDO développe les sens de la perception de l’attaque en identifiant l’expression des tensions, des premiers symptômes, en repérant les facteurs menant aux conflits, en identifiant les mécanismes de « l’escalade » (Ushiro=anticipation)
L’AÏKIDO enseigne que la meilleure façon de gérer un conflit est d’entrer à sa source et de s’harmoniser avec elle en développant le sens de l’observation, en s’adaptant aux situations, aux rythmes et aux événements, en développant l’affirmation de soi, en prévenant les tensions et en parvenant à leurs résolutions, en accroissant l’écoute active, la clarté de l’expression : Ecouter, entendre et comprendre (Irimi=initiative)
L’AÏKIDO développe la respiration en puisant au cœur des rythmes de la vie afin d’aider à une meilleure synchronisation, communiquer positivement et prendre le leadership de la situation, s’engager et proposer des solutions, décider justement autour du concept gagnant/gagnant, apporter sa dynamique, relever les chalenges et motiver ses équipes (Kokyu-Ho=dynamisme)
En AÏKIDO, les clefs d’immobilisation permettent le contrôle de la situation en désamorçant la tension, en résistant à la pression, en trouvant des issues opportunes, en construisant une situation de sortie de crise, en travaillant le consensus, le « mieux vivre ensemble ». (Osae=maîtrise)
Ce qu’il faut retenir, c’est que ces valeurs, au final, permettent aux pratiquants que nous sommes, de se rencontrer et mieux se connaître, dynamisent la cohésion du groupe, canalisent les énergies, développent la confiance en soi et en l’autre, renforcent le sens de l’écoute, donnent un but et partagent une expérience unique.
Voilà une première petite réflexion sur ce sujet « Pourquoi l’Aïkido ? »
Je pourrai probablement l’enrichir dans quelques années de pratiques supplémentaires.
Cette expérience n’est pas un long fleuve tranquille et j’ai parfois été découragé, certaines fois déstabilisé, d’autres fois j’ai eu le sentiment de stagner. Mais j’arrive toujours (jusqu’à maintenant) à retrouver la motivation et à pousser de nouveau la porte de notre Dojo, comme si cette quête avait quelque chose de magnétique.
Certes, l’Aïkido est constitué d’un vaste ensemble de techniques que je n’hésite pas à découvrir, avec les yeux curieux d’un enfant.
Mais c’est surtout pour moi un outil de développement personnel qui m’aide à progresser humainement, spirituellement.
C’est la raison principale qui me pousse aujourd’hui à continuer la pratique, avec mes moyens, et à poursuivre, à mon rythme, mon petit bout d’histoire avec un petit h sur le chemin de l’Aïkido.
L’Aïkido est un art qu’il faut chercher à sublimer pour en révéler toute sa beauté et sa dimension…
Merci à Christophe d’avoir su ouvrir cette voie et de m’y accompagner…